Introduction
La toux est l’un des symptômes les plus fréquents observés en consultation médicale, et elle représente souvent un motif d’inquiétude pour les patients. Ce réflexe vital joue pourtant un rôle clé dans la protection de nos voies respiratoires. Il permet d’expulser les particules irritantes, les microbes ou les sécrétions en excès qui peuvent obstruer les bronches. Toutefois, la toux peut devenir elle-même source de gêne lorsqu’elle se prolonge, s’intensifie ou survient sans cause clairement identifiée.
Dans ce contexte, les antitussifs sont régulièrement proposés pour en atténuer l’intensité. Ces médicaments promettent de soulager les toux sèches, d’origine irritative ou post-infectieuse, mais leur usage fait l’objet de débats. Leur efficacité réelle est parfois modeste, et leur emploi nécessite une bonne compréhension du mécanisme de la toux et de ses origines potentielles. Car vouloir supprimer un réflexe de défense sans en comprendre les causes peut s’avérer contre-productif, voire dangereux.
Mécanisme de la toux : un réflexe complexe mais essentiel
La toux est déclenchée par une cascade de signaux nerveux en réponse à une stimulation irritante ou inflammatoire. Cette réponse réflexe met en jeu plusieurs composants du système respiratoire et nerveux :
- Les récepteurs sensoriels situés dans la trachée, les bronches, le larynx et parfois même l’oreille (nerf d’Arnold), qui détectent l’irritation ou la présence de mucus.
- Le nerf vague, qui transmet le message jusqu’au centre de la toux, situé dans le tronc cérébral.
- Une réponse motrice coordonnée impliquant la fermeture de la glotte, la contraction des muscles respiratoires, et une expulsion d’air à haute pression.
Cette action, bruyante mais efficace, permet de dégager les voies respiratoires. Toutefois, elle peut devenir inadaptée lorsqu’elle se déclenche sans véritable besoin physiologique, comme dans certaines toux chroniques ou post-virales.
Quand recourir à un antitussif ?
L’usage d’un antitussif ne doit jamais être systématique. Il est réservé à des situations spécifiques où la toux, non productive, devient handicapante, douloureuse, ou perturbe significativement la qualité de vie (sommeil, concentration, etc.).
Il est important de distinguer :
- La toux grasse (productive), qui a une utilité fonctionnelle en évacuant les sécrétions bronchiques. Supprimer cette toux serait contre-indiqué.
- La toux sèche (non productive), souvent d’origine virale ou irritative, où le recours à un antitussif peut être envisagé, de manière transitoire.
Certaines causes fréquentes de toux sèche incluent :
- Les infections ORL virales (rhume, rhinopharyngite)
- La phase de convalescence après une bronchite
- Le reflux gastro-œsophagien (RGO)
- L’asthme ou les allergies respiratoires
- Les traitements par IEC (inhibiteurs de l’enzyme de conversion)
Avant d’envisager un traitement symptomatique, il est impératif d’évaluer la cause potentielle de la toux, surtout si elle dure plus de 3 semaines.
Les différentes familles d’antitussifs
Les antitussifs se divisent en deux grandes catégories, selon leur lieu d’action : centrale (au niveau du cerveau) ou périphérique (au niveau des voies respiratoires).
Antitussifs à action centrale
Ils agissent directement sur le centre de la toux dans le tronc cérébral. Ils diminuent la sensibilité du réflexe de toux.
- Les opioïdes comme la codéine ou l’éthylmorphine, longtemps utilisés, sont désormais plus encadrés en raison de leurs effets indésirables (somnolence, risque de dépendance, dépression respiratoire). Chez l’enfant, leur usage est contre-indiqué.
- Le dextrométhorphane, d’action centrale mais sans effet morphinique marqué, est plus couramment utilisé. Cependant, il peut entraîner des troubles neurologiques à forte dose et être détourné à des fins récréatives.
- Les non-opioïdes, comme la clopérastine ou la noscapine, sont mieux tolérés. Leur efficacité reste néanmoins modérée dans les études cliniques.
Antitussifs à action périphérique
Ils visent à apaiser localement les muqueuses irritées ou à réduire la sensibilité des récepteurs périphériques :
- Les sirops adoucissants (miel, glycérol, extraits de plantes) ont un effet mécanique de lubrification.
- Les anesthésiques locaux (lidocaïne, benzocaïne) sont utilisés en pastilles ou sprays pour soulager les douleurs ou picotements pharyngés.
Leur efficacité est souvent liée à l’effet placebo ou à la sensation d’humidification locale plutôt qu’à une action pharmacologique démontrée.
Efficacité clinique : un bénéfice réel ou perçu ?
De nombreuses revues systématiques concluent à une efficacité modérée, voire faible des antitussifs chez l’adulte. Dans les cas de toux virale aiguë, l’amélioration observée pourrait relever autant de l’évolution naturelle de la maladie que de l’effet pharmacologique réel. Le placebo reste un facteur puissant, en particulier dans les pathologies bénignes autolimitées.
Chez les enfants, plusieurs agences (ANSM, EMA, FDA) déconseillent la plupart des antitussifs, notamment opioïdes, en raison du manque de bénéfice démontré et des risques potentiels. Les recommandations préconisent plutôt une bonne hydratation, du repos, et des solutions naturelles comme le miel (à partir de 12 mois).
Dans la toux chronique, les antitussifs n’ont qu’un rôle limité. Leur utilisation prolongée sans étiologie identifiée est déconseillée. Une approche multidisciplinaire est souvent nécessaire (pneumologue, ORL, gastro-entérologue, allergologue).
Précautions d’emploi et effets indésirables
Les antitussifs ne sont pas anodins. Ils peuvent provoquer :
- Somnolence et troubles cognitifs, surtout avec les produits opioïdes
- Constipation, en particulier avec la codéine
- Dépression respiratoire, dans les surdosages ou chez les sujets fragiles
- Réactions allergiques à certains excipients ou plantes contenues dans les sirops
- Interactions médicamenteuses, notamment avec les antidépresseurs (syndrome sérotoninergique avec dextrométhorphane)
Une vigilance particulière est recommandée chez les personnes âgées, les enfants, les femmes enceintes, et les patients avec antécédents respiratoires.
Conclusion
Les antitussifs occupent une place modeste mais ciblée dans la pharmacopée respiratoire. Leur intérêt se limite aux toux sèches persistantes, en l’absence de cause identifiable grave, et lorsqu’elles nuisent clairement à la qualité de vie. Ils ne doivent jamais être utilisés pour masquer une toux productive ni pour prolonger inutilement un traitement.
Mieux comprendre les causes de la toux, son mécanisme, et adapter la prise en charge à chaque situation clinique permet une utilisation plus judicieuse et plus sûre de ces médicaments. La pédagogie auprès des patients reste essentielle pour éviter les mésusages, les automédications excessives et les attentes irréalistes face à des symptômes souvent bénins et transitoires.
Sources :
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