Introduction
En ophtalmologie, si l’accent est souvent mis sur les traitements locaux – collyres, gels, injections intravitréennes ou implants – un pan plus discret mais néanmoins important de la pharmacopée comprend les traitements systémiques, souvent administrés par voie orale. Ces médicaments ne ciblent pas directement l’œil, mais cherchent à améliorer son fonctionnement ou sa résistance par des mécanismes indirects. Parmi ceux-ci, des spécialités comme Correctol®, Difrarel® ou Vitarutine® sont utilisées pour leurs propriétés vasculotropes, antioxydantes ou protectrices de la microcirculation oculaire.
Souvent prescrits en complément, notamment en cas de troubles de la vision liés à l’âge ou à certaines pathologies chroniques, ces produits se positionnent à la frontière entre médicament et complément nutritionnel. Mais que savons-nous vraiment de leur efficacité ? Dans quelles situations peuvent-ils s’avérer utiles ? Et quels en sont les bénéfices réels versus les effets attendus ?
La microcirculation oculaire : un enjeu physiologique majeur mais discret
L’œil, et en particulier la rétine, est l’un des organes les plus métaboliquement actifs du corps humain. Il nécessite un apport constant en oxygène et en nutriments via un réseau dense de capillaires, principalement situés dans la choroïde et la rétine. Cette microcirculation peut être altérée par des facteurs aussi variés que l’hypertension artérielle, le diabète, le vieillissement ou les expositions prolongées à la lumière bleue.
Correctol®, association de diosmine et d’hespéridine, ainsi que Vitarutine®, à base de rutoside, ont pour objectif de renforcer les parois vasculaires et de réduire la perméabilité capillaire. Ces effets sont bien documentés dans les études sur l’insuffisance veineuse chronique des membres inférieurs, mais leurs transpositions à la sphère oculaire sont encore peu explorées. Certaines études suggèrent un effet bénéfique sur la fragilité capillaire rétinienne, mais les preuves manquent encore de robustesse pour en faire une recommandation standardisée.
Dans des cas de rétinopathies débutantes, chez des patients diabétiques ou hypertendus, ces molécules pourraient contribuer à retarder l’apparition de lésions plus graves. Toutefois, leur action reste préventive et complémentaire, et ne remplace jamais les traitements de fond ou les stratégies validées comme les anti-VEGF, les lasers rétiniens ou la régulation stricte des facteurs de risque systémiques.
Le stress oxydatif rétinien : cible des antioxydants systémiques
La rétine, en raison de son exposition constante à la lumière et de son activité métabolique intense, est particulièrement vulnérable au stress oxydatif. Celui-ci joue un rôle majeur dans le vieillissement rétinien et dans des pathologies telles que la Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge (DMLA), la rétinopathie diabétique ou encore les atteintes ischémiques chroniques.
Difrarel®, à base d’anthocyanosides de myrtille et de vitamine E, a été développé dans cette optique. Les anthocyanosides sont des flavonoïdes aux propriétés antioxydantes et vasculoprotectrices, censées stabiliser les membranes cellulaires, réduire l’inflammation et limiter l’oxydation lipidique des photorécepteurs.
Des résultats expérimentaux in vitro et sur modèles animaux ont montré des effets protecteurs de ces substances sur les cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien. Cependant, les essais cliniques sur l’homme sont rares, souvent de petite taille, et ne démontrent pas de réduction significative de la progression de la DMLA ou d’amélioration fonctionnelle marquée. On observe surtout un effet subjectif, une amélioration du confort visuel, une réduction de la fatigue oculaire chez les personnes travaillant de longues heures sur écran ou se plaignant de troubles visuels discrets sans lésion ophtalmologique identifiée.
Quelle place clinique pour ces traitements ?
L’utilisation de ces médicaments reste souvent empirique. Bien tolérés, ils peuvent néanmoins causer des effets indésirables gastro-intestinaux légers, ou interagir avec d’autres traitements comme les anticoagulants ou les antiagrégants. Ils ne sont pas dénués de pharmacodynamie et doivent faire l’objet d’une prescription raisonnée.
Ils peuvent être envisagés dans plusieurs contextes :
- En prévention vasculaire oculaire chez des patients à risque (diabète, HTA, antécédents de microangiopathie).
- Comme soutien visuel subjectif chez les personnes âgées ou celles travaillant intensivement sur écran.
- Dans le cadre de protocoles complémentaires à des traitements ophtalmologiques classiques, pour renforcer la résilience tissulaire.
Il est essentiel de souligner que ces traitements ne visent ni la guérison, ni le ralentissement avéré des grandes pathologies dégénératives. Leur usage doit être guidé par la prudence, et surtout ne jamais retarder l’accès à des traitements validés et nécessaires.
Conclusion
Correctol®, Difrarel®, Vitarutine® et d’autres médicaments systémiques utilisés en ophtalmologie ne sont ni inutiles ni miraculeux. Leur intérêt réside dans leur capacité à soutenir les structures fragiles de l’œil face à des agressions métaboliques ou oxydatives. Ils agissent à la marge, en tant qu’adjuvants, et peuvent améliorer la qualité de vie visuelle dans certaines situations bien définies.
Toutefois, l’enthousiasme doit être tempéré par une analyse critique des données disponibles : les études sont rares, les effets souvent modestes, et l’indication doit être pesée au cas par cas. Ces traitements trouvent leur place non pas dans le cœur de l’arsenal thérapeutique, mais dans les marges stratégiques d’un suivi ophtalmologique global, quand ils sont utilisés avec discernement et dans une approche intégrée du patient.
0 commentaires