Introduction
Dans le vaste univers des collyres utilisés en ophtalmologie, rares sont les familles de médicaments qui produisent un effet aussi immédiat, visible et fonctionnel que les myotiques et les mydriatiques. En agissant sur la taille de la pupille, ces substances ne se contentent pas d’améliorer le confort ou la vision du patient : elles transforment radicalement la dynamique de l’examen clinique ou de l’acte thérapeutique. Elles permettent d’observer la rétine, de soulager des douleurs, de faciliter des interventions chirurgicales ou encore de contrôler certaines pathologies comme le glaucome. Pourtant, leur action puissante n’est pas sans contrepartie, et leur usage exige une compréhension fine des mécanismes physiologiques et des risques qu’ils comportent.
L’objectif de cet article est de décrypter, de façon pédagogique, les principes biologiques sous-jacents à l’action de ces médicaments, leurs indications cliniques, leurs effets indésirables potentiels, et les perspectives futures qu’ils ouvrent dans la prise en charge des affections oculaires.
La pupille : un équilibre neuro-musculaire sous haute régulation
La pupille, ouverture centrale de l’iris, joue un rôle clé dans le contrôle de la lumière entrant dans l’œil. Sa taille est régulée par un jeu d’équilibre entre deux muscles antagonistes : le sphincter de l’iris, sous contrôle parasympathique, qui provoque une constriction (myosis), et le dilatateur de l’iris, sous contrôle sympathique, responsable de la dilatation (mydriase).
Ce système, sensible aux variations de lumière, d’émotion, d’accommodation et de tension intraoculaire, peut être modulé pharmacologiquement. Les myotiques stimulent le sphincter (réduction de la pupille), tandis que les mydriatiques inhibent ce muscle ou stimulent le dilatateur (augmentation du diamètre pupillaire). Cette modulation pupillaire est temporaire mais puissante, et doit être adaptée au contexte clinique du patient.
Les mydriatiques : élargir la pupille pour voir mieux et traiter plus efficacement
Les mydriatiques sont utilisés principalement pour dilater la pupille, ce qui facilite l’observation du fond d’œil lors des examens ophtalmologiques. Ils sont également utiles avant certaines chirurgies (cataracte, vitrectomie), pour réduire les adhérences irido-cristalliniennes lors d’uvéites, ou encore pour contrôler des douleurs oculaires liées aux spasmes ciliaires.
On distingue deux grandes classes de mydriatiques :
- Les antimuscariniques (tropicamide, cyclopentolate, atropine) bloquent les récepteurs muscariniques M3 du sphincter de l’iris, induisant une paralysie de l’accommodation (cycloplégie) et une dilatation pupillaire durable.
- Les agonistes alpha-adrénergiques (phényléphrine) stimulent les récepteurs du muscle dilatateur, entraînant une mydriase sans affecter l’accommodation.
Le tropicamide est le plus utilisé pour l’examen standard, en raison de son action rapide (15 à 30 minutes) et réversible en quelques heures. L’atropine, en revanche, a une action plus prolongée (jusqu’à 10 jours), utile en pédiatrie ou pour traiter les spasmes accommodatifs sévères, mais avec un risque plus élevé d’effets secondaires.
Ces effets incluent une photophobie, une vision floue de près, une sensation de sécheresse oculaire, et chez certains patients, une élévation transitoire de la pression intraoculaire. Chez les sujets présentant un angle irido-cornéen étroit, une mydriase peut induire une crise aiguë de glaucome à angle fermé, potentiellement grave.
Les myotiques : contracter la pupille pour mieux drainer
À l’opposé, les myotiques induisent un rétrécissement de la pupille. Ils sont principalement indiqués dans le traitement du glaucome à angle ouvert, en réduisant la pression intraoculaire. La pilocarpine, myotique parasympathomimétique, est la molécule de référence. Elle agit en stimulant les récepteurs muscariniques, provoquant un myosis et une traction mécanique sur le trabéculum, améliorant ainsi l’écoulement de l’humeur aqueuse par la voie conventionnelle.
Mais cette action s’accompagne de limites : le myosis prolongé entraîne une gêne en vision nocturne, une myopie accommodative (vision floue de loin), des céphalées frontales dues à la contraction du muscle ciliaire, et parfois une inflammation locale. La fréquence d’administration (plusieurs fois par jour) limite aussi l’observance.
Aujourd’hui, les myotiques sont de moins en moins prescrits en première intention, au profit de traitements mieux tolérés (prostaglandines, bêtabloquants, inhibiteurs de l’anhydrase carbonique). Cependant, ils conservent leur intérêt dans des situations spécifiques, comme le glaucome par fermeture de l’angle, certaines situations post-chirurgicales ou les préparations au laser iridotomie.
Un levier pharmacologique aux effets ambivalents
La modulation pharmacologique de la pupille, si elle permet de mieux voir ou de soigner, doit être maniée avec précaution. L’utilisation inappropriée de mydriatiques peut exposer à des complications sérieuses, notamment dans le glaucome à angle étroit. À l’inverse, les myotiques, bien que bénéfiques pour la pression intraoculaire, peuvent réduire la qualité de vie visuelle chez certains patients sensibles à la lumière ou actifs en vision nocturne.
En pédiatrie, l’utilisation répétée de cycloplégiques peut entraîner des troubles transitoires du comportement, une sécheresse buccale ou une hyperthermie. Chez les personnes âgées, une surveillance accrue est nécessaire, surtout en cas de pathologie cardiovasculaire ou de troubles cognitifs.
Par ailleurs, l’induction prolongée d’un déséquilibre pupillaire (anisocorie, photophobie persistante) peut être source d’anxiété pour le patient. C’est pourquoi une information claire et une surveillance adaptée sont indispensables dans tout protocole impliquant ces traitements.
Vers une pharmacologie pupillaire plus précise
Les recherches actuelles explorent des formulations à libération prolongée, des implants intraoculaires, ou encore des molécules ciblant plus spécifiquement certains sous-types de récepteurs muscariniques ou adrénergiques. L’objectif est de maintenir l’efficacité clinique tout en réduisant les effets secondaires et la fréquence d’administration.
Certaines études s’intéressent également aux biomarqueurs individuels de sensibilité pupillaire, pour prédire les réponses aux traitements et personnaliser les prescriptions. Cette approche, encore émergente, pourrait ouvrir la voie à une pharmacologie plus fine, plus sûre, et mieux intégrée dans les parcours de soins personnalisés.
Conclusion
Les myotiques et les mydriatiques sont bien plus que de simples collyres agissant sur la pupille. Ce sont des outils puissants, capables de transformer un examen ophtalmologique, de traiter une pathologie ou d’éviter une complication grave. Leur usage, cependant, repose sur un équilibre délicat entre bénéfices et risques, entre effets immédiats et impacts à long terme.
Face à une pathologie aussi dynamique que celle du segment antérieur de l’œil, leur emploi nécessite rigueur, connaissances et individualisation. Et si de nouvelles générations de médicaments voient le jour, l’enjeu restera toujours le même : moduler la pupille, non pas à l’aveugle, mais en pleine lumière scientifique.
Sources
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